Savoirs médicaux et colonisation portugaise du Brésil, avec Marion Pellier [Ep. #10]

En 1500, une flotte portugaise, commandée par Pedro Álvares Cabral, atteint pour la première fois les côtes de l’actuel Brésil. C’est la rencontre de deux mondes très différents, sur tous les plans.

Frontispice du Historia Naturalis Brasiliae de Willem Piso et George Marcgrave, Leyde-Amsterdam, 1648.

Les Portugais qui s’installent au Brésil, ont dû s’adapter pour faire face aux pénuries en ressources nécessaires à leur pharmacopée et aux nouvelles réalités médicales de la colonie. L’épisode explore comment ils ont tenté de concilier les connaissances médicales autochtones avec les enseignements hippocratiques et galéniques, cherchant des analogies pour déterminer les effets thérapeutiques des plantes médicinales locales. Il y a donc une forme d’appropriation des savoirs médicaux des populations locales qui, à terme, permet d’intégrer de nouvelles drogues, principalement des plantes, dans la pharmacopée occidentale, et de développer le commerce.

Source de l’image : Michal Boym, Flora Sinensis, fructus floresque humillime porrigens, Vienne, 1656, p. 34.

Représentation de l’anacardier par le père jésuite polonais Michal Boym dans sa Flora Sinensis en 1656. La particularité de Boym est qu’il cherche à transcrire la prononciation chinoise de la plante et explique que celle-ci vient d’Inde. Il ne parle pas du Brésil, ni de l’introduction de la plante par les Portugais en Asie. Moins d’un siècle après son acclimatation en Inde, la plante a donc totalement été intégrée à la flore et la pharmacopée asiatiques.

Cet épisode permet également de comprendre comment le paysage médical du brésil colonial s’est développé au cours des XVIème et XVIIème siècles, avec le rôle des jésuites, des juifs fuyant l’Inquisition et des esclaves venus d’Afrique.

Du côté des peuples locaux, il est difficile de parler d’une adaptation des pratiques suite à l’arrivée des théories hippocratico-galéniques apportées par les occidentaux. Il s’agit plutôt d’une adaptation forcée, conséquence des contacts avec les jésuites. Les soins qu’ils prodiguent, notamment aux enfants, participent au processus d’acculturation.

Un point intéressant : l’étude de l’histoire de la médecine au Brésil colonial est entravée par le manque de sources autochtones. Les populations locales n’ont pas laissé d’écrits. Par conséquent, il est impossible d’obtenir “la vision des vaincus”. Les rares témoignages métis, n’abordent pas la question de la santé.

Un exemple de source :

Extrait du procès du chirurgien portugais nouveau-chrétien Manuel Duarte qui le condamne en 1600, pour judaïsme, à 5 ans de galères commués en 10 ans d’exil au Brésil. Localisation du procès : PT/TT/TSO-IE/021/10681, fl. 310 rº

Transcription : « O Bispo d’Elvas Inquisidor geral em estes Reinos e Senhorios de Portugal … fazemos saber que avendo respeito ao que Manoel Duarte sururgião christão novo penitenciado pello Santo Officio d’Evora nos disse em huma petição que nos fez e a informação que do caso em seus autos se teve. Avemos por bem que os que os cinco annos de galles em que foi condenado pera nellas servir ao remo de lhos comutar em dez anos de degredo pera as partes do Brasil onde mandamos que os vaa cumprir ».
Traduction : « L’Évêque d’Elvas, inquisiteur général dans ces royaumes et seigneuries de Portugal, faisons savoir à propos de ce que Manuel Duarte, chirurgien nouveau-chrétien puni par le Saint Office, nous a dit dans une requête qu’il nous a faite et de l’information que nous avons eue de son dossier. Les cinq années de galères auxquelles il a été condamné pour y servir en tant que rameur, sont commuées en dix ans de déportation au Brésil où nous l’envoyons pour s’y conformer ».

Un entretien avec Marion Pellier

Dans cet épisode, j’ai invité Marion Pellier. Marion est doctorante en histoire, en cotutelle internationale entre le CESR (Centre d’études supérieures de la Renaissance) de Tours et l’Université de Aveiro, au Portugal. Elle est également ATER à l’Université de Strasbourg. Sa thèse s’intitule « Et Galien traversa l’Atlantique. Le syncrétisme des pratiques et des savoirs médicaux luso-brésiliens (1500-1650) ».

Portrait de Marion Pellier

Les timecodes pour naviguer dans l’épisode :

  • 00:00 – Générique
  • 01:00 – Présentation de Marion Pellier et introduction
  • 02:06 – Le choix de ce sujet de thèse
  • 04:35 – La pérégrination d’Amatus Lusitanus
  • 08:04 – Le contexte historique de la découverte du Brésil par les portugais
  • 12:59 – Les savoirs médicaux des populations locales
  • 14:32 – Les théories et connaissances médicales des occidentaux
  • 17:53 – Vers l’appropriation des savoirs
  • 31:22 – Comment concilier la pharmacopée locale avec Galien et Hippocrate ?
  • 36:59 – La noix de cajou et le tabac
  • 45:39 – Une adaptation imposée des pratiques des indigènes
  • 48:35 – Le problème des sources
  • 51:19 – Références et conclusion

Pour aller plus loin, quelques références suggérées par Marion Pellier

  • Samir Boumediene, La colonisation du savoir. Une histoire des plantes médicinales du « Nouveau Monde » (1492-1750), Les éditions des mondes à faire, 2016.
  • José E. Mendes Ferrão, Le voyage des plantes et les grandes découvertes, Chandeigne, 2015. (L’édition originale portugaise A aventura das plantas e os Descobrimentos portugueses est sortie en 1998 pour l’Exposition universelle de Lisbonne la même année.)
  • Flavio Coelho Edler, Boticas e pharmacias. Uma história ilustrada da farmácia no Brasil, Casa da Palavra, 2006.
  • Germano de Sousa, História da medicina portuguesa durante a expansão, Círculo de Leitores e Temas e Debates, 2013.
  • Claude Lévy-Strauss, Tristes tropiques, Plon, 1955. (Lévy-Strauss y raconte, entre autres, ses voyages anthropologiques faits au Brésil auprès de plusieurs tribus indigènes. Certaines pratiques médicales que les Portugais/Jésuites ont décrites au XVIe siècle étaient ainsi toujours en vigueur parmi ses tribus 400 ans plus tard.)
  • Jean-Christophe Rufin, Rouge Brésil, Gallimard, 2001. (Pour se détendre : c’est certes un roman, mais qui possède de belles descriptions de pratiques indigènes, notamment au niveau de l’alimentation, médecine, etc.)

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Bonne écoute !